vendredi 18 juillet 2008

L'Empire odorant du duende (II) : Jasmin de Nuit de The Different Company



J’ai des parfums duende, des parfums qui se déchirent la voix pour exprimer leur pleine beauté…

Le parfum rauque et entêtant du jasmin se mêle à ce chœur, lui qui forme le cœur de tous les grands parfums classiques. Parfois, celle qu’on appelait La Fleur dans les champs grassois tant elle y régnait en maîtresse, se laisse dépouiller des autours de reine qu’on lui fait dans Joy de Patou, les N°5 et N°22 de Chanel… partout, car peu de parfums classiques résistent à l’inclure.

Parfois, La Fleur au nom arabe va traîner parmi les gitans, arrache ses chaussures d’un coup de pied comme Ava Gardner dans La Comtesse aux pieds nus, foule le crottin et la boue, se frotte d’herbes et d’épices aromatiques qui la dépouillent de sa splendeur, elle, la discrète pluie d’étoiles blanches qui sait si bien dévorer l’espace. Ce jasmin qui traîne en oripeaux de romanichelles, c’est le Jasmin de Nuit composé par Céline Ellena, qui a repris The Different Company fondée par son père Jean-Claude lorsqu’il a accepté le contrat exclusif offert par Hermès. Quoi qu’avec son admirable Sel de Vétiver, elle se soit montrée digne héritière du style minimaliste paternel, elle s’en est d’abord affranchie dans sa première composition, Jasmin de Nuit (2005).

À tel point que le jasmin, dans Jasmin de Nuit, n’est pas forcément ce qui domine. Sauf que j’ai senti – coup de cœur du duende – un buisson de jasmin à l’odeur très similaire, par un jour pluvieux, dans une rue chic de Boulogne-Billancourt, à deux pas du jardin Albert Kahn. Un jasmin arrondi d’une pointe de mûre et de bergamote, serti de frais-chaud par de nouvelles servantes : cardamome, badiane, cannelle, puis tiré vers les profondeurs de l’indole par ses sorcières : le santal, le musc et l’ambre. À peine retravaillé, le Jasmin de Nuit diffuse les odeurs de cette fleur égarée dans les banlieues parisiennes élégantes.

Pour ceux ou celles que l’étouffement progressif sous des tonnes de jasmin presque gazoliné d’À la nuit de Serge Lutens effrayeraient – Tania Sanchez le compare à « une mort par jasmin », le Jasmin de Nuit de The Different Company offre une alternative plus souple, enveloppante, enivrée d’épices. En abandonnant une part de son altière puissance, il chante d’une voix plus assourdie mais, à mon sens, encore plus émouvante de ne pas exercer ses pleins moyens.

Comme la danseuse Maria d'Amato qui s'échappe des bras de son riche et impuissant époux qu'elle aime pourtant passionnément, pour se rouler dans ceux des hommes du peuple, le jasmin se salit parfois pour se rappeler qu'il a un coeur de chair corruptible, malgré la virginale blancheur de ses étoiles...

2 commentaires:

  1. Je suis tojours aussi impressionée par comment tu arrives à decrire les choses! T'as bien mérité une bouteille pleine de Jasmin de Nuit - tu sais que tu as la mienne quand tu veux!

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  2. Merci pour le compliment et pour l'offre! J'économise mon decant depuis deux ans... et là j'ai eu l'inspiration, après avoir senti ce buisson de jasmin. Je l'ai ressenti aujourd'hui, un délice...

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