mercredi 15 octobre 2008

Retour (sur) Dans tes bras


Dans Tes Bras est un parfum profondément déconcertant – et l’un de lancements les plus originaux de l’année, à la fois par sa construction et ses notes. Il évolue de façon non linéaire, comme s’il pulsait autour de son squelette en Cashmeran (qu’on appelle plus communément « bois de cachemire » malgré son origine synthétique). Ses notes flottent pendant des heures autour de cet axe central comme des lambeaux de brume, avant de se résorber dans une odeur censée rappeler – c’était l’intention de Frédéric Malle et de Maurice Roussel – celle d’une peau tiède.

Mais la peau de qui ? Je n’en ai jamais sentie de semblable. La peau d’un sylphe, d’une dryade ?

Si la peau sentait la terre noire humide (comme les plus beaux patchoulis). La feuille verte des violettes. La bergamote pétillante. Le voile poudré du salicylate d’amyle – une molécule utilisée pour ajouter de la fraîcheur aux senteurs florales depuis Le Trèfle Incarnat de L.T. Piver, en 1898 – marié à l’éclat sucré métallique des violettes. Si la peau exhalait les bouffées mentholées du salicylate de méthyle, comme l’écho fantomatique d’une tubéreuse déshabillée de ses notes florales. Si la peau avait la saveur brûlante-glacée du clou de girofle et le goût d’un œillet mêlé à l’amande et à l’anis de l’héliotrope. Si la peau était baignée d’encens.

Bien qu’Osmoz le décrive comme un parfum "un peu rétro" – et en effet, on y décèle un soupçon du Je Reviens de Worth, de L’Origan de Coty, de L’Heure bleue et d’Après l’ondée de Guerlain – Dans tes bras est tellement inédit qu’on peut à peine le concevoir comme un parfum à porter. Six d’Ambre Gris et plusieurs forumeuses françaises ont été rebutées par ses relents de champignonnière (et si c’était là l’odeur des « voleurs de corps » végétaux de L’Invasion des profanateurs ?). La terre mouillé suggère la mort – l’étreinte ultime. L’odeur verte est celle d’une végétation qui surgit de la matière décomposée. Mais c’est alors que l’odeur boisée, chaude et salée du Cashmeran tire une chair humaine, vivante, de son berceau végétal : une chair sans sexe déterminé (chez Frédéric Malle, on dit que les hommes trouvent souvent Dans tes bras trop féminin, sans doute à cause de l’effet poudré de violette et de l’héliotropine, tandis que les femmes le trouvent trop masculin, peut-être à cause des facettes boisées du Cashmeran et du patchouli).

Je m’étais promis de rédiger un autre post sur Dans tes Bras quand j’aurais eu l’occasion de le porter à plusieurs reprises – dans le premier post, je n’avais senti qu’un échantillon sur touche. Je ne suis toujours pas arrivée à m’y faire, ou plutôt : à dompter sa discrète altérité. L’odeur m’est curieusement familière. Mais ce n’est pas dans un flacon que je l’ai rencontrée.


Image: Odilon Redon, Lutte entre la femme et le centaure

5 commentaires:

  1. ce parfum m'a laissée perplexe, je ne savais pas si j'aimais ou non. J'ai rencontré pas mal de parfums , des "j'aime bien ", des "je deteste", des "j'adore", des "pas mal" mais des "perplexes" rarement.
    quand je l'ai testé, je n'ai pas aimé au premier abord, mais je sentais sans cesse mon poignet, comme si ce dernier de sa propre volonté montait vers mon nez pour me dire "on se connait, on se connait, rappelles toi ...comme une odeur vaguement familière, pas un parfum mais une odeur,mais d'ou venait cette impression de "souvenir ou "souvenance", une reminiscence du passé, le doudou soyeux que je suçais en m'endormant, melange du tissus, de ma salive et de l'odeur de ma mère ...une odeur familière et rassurante, une odeur tiède et reconfortante...
    j'attendrais qu'il sorte en 3x10 ml car un 50 serait de trop, pour une odeur a porter en cas "d'urgence de tendresse"

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  2. Voilà, Véro, tu es comme moi -- je ne sais pas si Dans Tes Bras me rappelle la même chose qu'à toi, mais c'est également un parfum qui me rend perplexe et me fascine en même temps... Ce qui, en son genre, est une grande réussite.

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  3. Je l'ai porté tout l'hiver - il s'apprivoise très bien. Frédérique (qui a découvert ce blog avec délices)

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  4. J'étais déjà fortement attirée par la description de ce parfum, à sa sortie. Je n'ai eu l'occasion de le sentir qu'il y a quelques mois, chez FM à Paris. Même si ce n'est pas un coup de foudre à proprement parler, ça a été comme une évidence ! Sur moi point de relents champignionesques ou d'autres choses un peu désagréable. Ce n'est que du bonheur à mon nez, un bonheur serein, tranquile... un côté à la fois frais, doux et légèrement salé... j'y décèle même une facette un peu "lavande", comme l'odeur de draps frais... pourtant point d'intention de ce style chez Dominique Ropion, et point de lavande, on me l'a juré chez FM. En tout cas ce parfum semble être en osmose avec ma peau (j'ai de la chance)... et je le trouve fascinant.

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