mercredi 22 avril 2009

Turtle Vétiver d'Isabelle Doyen pour Les Nez: Rhizomes Rebelles




Vous croyez que le style d’Isabelle Doyen se résume à la féminité tantôt candide et tantôt vamp des Annick Goutal ? Ravisez-vous. Cette femme est une rockeuse, et elle mérite sa place au panthéon des parfumeuses couillues (passez-moi l’expression) à côté de sainte Germaine Cellier. Songez à Encens Flamboyant, du quatuor des Orientalistes de Goutal : un encens sans compromis qui vire au cuir. Ou alors, au grésillement d’orage électrique du dernier, Un Matin d’Orage, qui était à l’origine censé représenter un gardénia dans l’éclat blanc aveuglant du vide intersidéral de 2001 Odyssée de l’espace, avec, en bande-son, le Space Oddity de David Bowie, avant d’être ramené sur terre et ancré dans un jardin japonais.

Ou mieux encore, songez à son terrain d’expérimentation, la marque superbement indépendante Les Nez, dont le propriétaire, René Schifferle, a accepté sans broncher de la laisser créer un parfum qui ne sentirait rien, L’Antimatière. (En fait, il a bien une odeur, mais plusieurs personnes y sont anosmiques).

Ou alors, dernière pièce à verser au dossier, son Turtle Vetiver pour Les Nez, un « parfum rebelle » dont seuls 80 flacons ont été fabriqués : lorsqu’ils seront épuisés, Isabelle Doyen proposera une nouvelle variation sur le matériau.

Si vous aimez le vétiver, jetez-vous sur celui-là. C’est à peu près ce qui se rapproche le plus de la véritable odeur de l’essence de vétiver, qui est assez déconcertante lorsqu’on n’est habitué qu’à sa version retravaillée et civilisée : brute, voire brutale, étonnamment mordante et camphrée, avec des facettes phénoliques bois brûlé qui évoquent le gaïac. Doyen s’est coltiné cette brutalité à l’emporte-pièce, sans flancher, sans tenter de lui coller un sourire aimable. Son vétiver gronde d’une voix de basse. Mais alors… il commence à se métamorphoser pour afficher, par touches évanescentes, les innombrables facettes de ce matériau incroyablement riche : une bouffée minérale de silex, puis l’odeur de pamplemousse salé que j’assimile toujours à celle de la sueur fraîche…

Ce parfum déjoue le cours normal du développement pyramidal, dans une espèce de tour de passe-passe de physique quantique olfactive : au lieu de s’approfondir vers les notes de fond, il part à rebrousse-temps pour se dépouiller de ses notes médicinales et dévoiler des citrus ensoleillés, avant d’ouvrir, au bout de plusieurs heures, son cœur floral de jasmin hespéridé. Un peu comme si on écoutait Iggy Pop, époque Stooges, et qu’il lâchait tout d’un coup une ballade veloutée…

Je ne sais pas comment Doyen s’y est prise, et quelles sortes de prouesses chimiques elle a déployées pour parvenir à ce jeu d’illusions, mais c’est, en tous cas, une véritable prouesse olfactive.

P.S. Si vous consultez le site des Nez, vous verrez que René Schifferle prend le contrepied des nouvelles mesures réglementaires de l’IFRA, ce qu’il peut se permettre puisqu’il vend directement de son site : plutôt que de reformuler ses parfums, il ajoute la notice suivante : « Comme pour chaque parfum nous recommandons de faire un essai sur votre poignet avant de vaporiser le produit. » Raison de plus pour soutenir cette micro-marque réellement innovante.

Image: Gjon Mili, 1947


4 commentaires:

  1. Bonjour,

    Je vous remercie pour votre blog passionant. Je me réjouis de la décision des parfumeurs Les Nez, enfin une petite rébellion salutaire contre un monde aux odeurs aseptisées!
    Sauriez-vous où je pourrais sentir ces parfums? j'en suis très curieux...Merci!

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  2. Le petit-grain, merci à vous! Malheureusement, on ne trouve les parfums Les Nez qu'en ligne. Si vous cliquez sur le lien de leur site, ci-dessus, vous pourrez commander des échantillons.

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  3. Pour revenir à l'Antimatière, j'y étais anosmique au premier essai, mais je le sens de plus en plus à chaque fois que je le porte. Ce qui m'a vraiment surprise, c'est que c'est celui qui m'a valu le plus de compliments, alors que j'avais moi-même l'impression qu'il m'avait désertée. Quant à mon collègue extrémiste anti-parfum (j'avais justement choisi de porter celui-ci pour ne pas l'incommoder, vu que la veille il avait bien supporté Essence de NR, j'ai pensé qu'il devait être anosmique aux muscs), il a eu une réaction de rejet incroyable, il a fait un bond d'un mètre en arrière! Bon, c'est pas une référence, mais c'était vraiment bizarre de voir comme ce parfum se faisait remarquer, ça m'a laissée perplexe.

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  4. Clochette, il faudra vraiment que je me le procure, je n'ai que l'échantillon déjà bien entamé lors de mon cours de Londres, car je l'ai fait essayer sur peau à tous mes élèves!
    Visiblement, le nazi des parfums de l'orchestre n'est pas anosmique à *tous* les muscs!

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