mercredi 14 octobre 2009

XIII, La Treizième Heure de Cartier: A travers le miroir avec Mathilde Laurent (3ème partie)


De toutes les Heures du Parfum, XIII – La Treizième Heure est à la fois le préféré de Mathilde Laurent et le mien, et la question qu’il semble chercher à résoudre est la suivante : comment traduire l’essence même du parfum, ses origines historiques et étymologiques, sans recourir aux matériaux « archéologiques » (comme, par exemple, Serge Lutens l’a fait avec l’encens dans Serge Noire) ?

Plusieurs matériaux expriment le fumé et/ou le brûlé : la vanille a une facette fumée, tout comme le thé noir, l’eugénol (clou de girofle, lys) et la réglisse ; et d’ailleurs, tout ce qui présente des facettes phénoliques (goudron de houille) ou crésoliques (goudron de bouleau, whiskey).

Dans La Treizième Heure, Mathilde Laurent jette un pont entre le fumé de la vanille et celle du cuir avec le maté, également fumé/phénolique ; l’effet « thé noir » est accentué par la bergamote (qui évoque quasi-automatiquement l’Earl Grey).

Bergamote, vanille et cuir ? Ajoutez des notes « foin » et baumées, et vous obtiendrez Shalimar, un parfum que Mathilde Laurent connaît évidemment par cœur puisque non seulement elle en a pesé des cuves entières, mais qu’elle en a proposé une variation réussie avec Shalimar Eau Légère.

À l’instar du Bulgari Black d’Annick Menardo, La Treizième Heure pourrait être un lointain descendant postmoderne du parfum culte de Guerlain. Mais au lieu de lui remplir le cœur de coumarine et d’adoucir le fond de baumes, Mathilde a accroché son carrousel de notes fumées/brûlées à l’odeur extraordinairement complexe du Narcisse d’Auvergne Absolue de Monique Rémy. Comme la coumarine, l’absolue de narcisse présente des facettes tabac-foin, auxquelles s’ajoute un arôme « cheval » ; mais elle dégage également une odeur verte et froide qui donne à la Treizième Heure un cœur curieusement glacé (c’est à ce moment qu’on songe au cuir d’un bracelet de montre et à la froideur métallique de la couronne – après tout, on est bien chez Cartier).

Au fil du développement, un effet jasmin-gardénia lactonique perce cependant l’écran de fumée. Apparemment, ce n’est pas intentionnel, bien que Mathilde en confirme la présence sur mon poignet. Elle suppose que cela peut être une réaction avec ma lotion hydratante : mais le lendemain, en portant La Treizième Heure sur peau nue, le joli gardénia joue encore les passagers clandestins…

Cette apparition fantomatique sied étrangement à un parfum qui porte un chiffre néfaste et le nom d’une heure imaginaire ; un parfum bâti autour d’une fleur intimement liée à l’outre-tombe dans la mythologie grecque… Après tout, le narcisse est né de la métamorphose d’un beau jeune homme si amoureux de son propre reflet qu’il s’y noya ; et c’est séduite par son odeur que la vierge Korê est tombée dans le piège d’Hadès, qui l’emporta aux Enfers pour en faire sa compagne… Le nom secret de La Treizième Heure pourrait bien être Perséphone.

À porter le vendredi.


Les commentaires de Mathilde : « Ce qui me fascine, dans le narcisse, c’est son côté vert, aqueux, comme la fraîcheur de l’aube sous la rosée, et en même temps, ce côté foin coupé, cuir tanné, presque viande séchée. C’est un parfum en soi. Mais il n’y a pas d’effet floral recherché : c’est un travail sur les épices de feu, la fumée, la combustion, avec tous les dérivés de l’eugénol… La fumée, pour moi, c’est une fascination depuis toujours, car le parfum est fumée. »


Mathilde Laurent répondra aux questions des internautes sur le blog d'Elisabeth de Feydeau. Je ne puis que vous encourager à profiter de cette initiative!


Image tirée de la série "Carmilla" d'Andy Julia.

20 commentaires:

  1. Merci pour cette séquence de révision ; j'avais oublié la fin du mythe de Narcisse !
    Hum, hum, ces facettes de fleur décomposée, de cuir... J'ai ressenti Fleurs de Narcisse de l'AP que j'aime beaucoup : s'agit-il du même fournisseur de matières premières ?

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  2. Thierry, en effet, c'est bien le Narcisse d'Auvergne Absolue qui a été utilisé (dans son "cru" 2007) par Anne Flipo pour L'Artisan. Et je crois que c'est aussi cette matière qui se retrouve dans Havana Vanille. Mais les effets sont très différents.

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  3. cette heure la m'intrigue, j'ai tres envie de la decouvrir, je suis un peu en retard sur les news...les parfums sont sortis? et où peut'on les trouver?

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  4. Vero, c'est pour novembre, dans les boutiques Cartier.

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  5. merci beaucoup denyse :)

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  6. Hum, c'est tres bizarre mais le narcisse sent le goudron et le petrol sur moi... j'ai ete carrement rebutee par Fleurs de Narcisse sur ma peau. Si je ne savais pas que c'etait une fleur, je ne l'aurais jamais devine. J'ai hate de tester ces nouveaux parfums, surtout celui-ci et la Treizieme Heure quand meme.

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  7. Oups, je voulais dire L'Heure Mysterieuse!

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  8. Tara, j'étais avec toi la première fois que j'ai testé Fleur de Narcisse, je me rappelle, nous sortions de la Casa del Habano et le parfum sentait exactement comme la cave à cigares... Mais je n'ai jamais eu d'effet floral, alors qu'avec La Treizième heure, oui. C'est le même matériau (Narcisse d'Auvergne Absolue de Monique Rémy), alors faut voir!

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  9. Je m'en souviens. Moi je l'ai teste chez Ogilvy et je n'ai pas du tout senti du tabac (malheureusement)... que du goudron et du petrol. Alors j'attends avec impatience le Cartier pour faire la comparaison. Je sais que la meme note dans des doses/melanges differentes peut se reveler tres differamment.

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  10. Teste hier et achete sur le champs! Difficile d'en rajouter apres la revue exceptionnelle de carmencanada ;) si ce n'est que j'ai mis le cote froid glace sur le compte du the mate et du goudron cuire.
    Bien que j'ai porte Narcisse Noir (avant qu'il ne fut denature par une succession de pietres reformulations), je ne serais bien incapable de reconnaitre l'odeur du narcisse, (je pensais que c'etait floral).
    La dualite chaud et froid de ce parfum est bien construite et semble "effortless" pour traduire
    une sensualite enigmatique qui me ressemble finalement beaucoup.

    Sur ma peau c'est le patchouli qui perce l'arridite du goudron et du cuir. La tenue de cette eau de parfum est exceptionnelle.

    Petite deception pour le customer service chez Saks. Apres avoir debourse 272 dollars il a fallut que je reclame le livret et on ne m'a autorise a emporte qu'un seul echantillon de la collection alors que j'aurais bien aime avoir les cinq.
    J'ai choisit le XII apres avoir hesite avec le I, un bel iris frais et innocent (pour reprendre la description du livret).

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  11. Uella, le narcisse de Narcisse Noir est une évocation de la fleur (entre autres: j'y sens aussi beaucoup de fleur d'oranger), tandis que le Narcisse d'Auvergne Absolue de LMR ne ressemble pas du tout à ce qu'on peut sentir "sur tige". Tu peux le sentir aussi dans la Fleur de Narcisse et le Havana Vanille de L'Artisan, c'est le même matériau.

    Je porte encore aujourd'hui ce XIII fascinant... Et j'espère pouvoir m'en offrir bientôt un plein flacon, car mon mini diminue!

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  12. Tara: tu risques encore de percevoir du goudron puisqu'il y a pas mal de bouleau dans le XIII...

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  13. Sylvaine Delacourte semble faire une différence entre l'essence de bouleau, proscrite car carcinogène, remplacer par des recomposition, et le goudron de bouleau. Bref, je ne sais pas s'il existe tant de bouleau dans nos parfums à présent.

    J'ai testé la 13eme heure. J'ai trouvé très puissante la proportion de lapsang souchong dans le parfum. Le narcisse ne se sent pas à ce point, le parfum est comme 4 personnages dans la même psychés, et qui ne seraient pas toujours d'accord. Changeant, stupéfiant, mais pas encore un parfum que je me verrais porter.
    Si ce parfum doit me rappeler un guerlain, ce serait vol de nuit, peut-être à cause de l'iris, ?du cèdre?, et de la jonquille (qui n'est pas loin du narcisse?).
    Mais je comprend parfaitement la filiation shalimar -> black de bulgari -> 13ème heure.
    J'ai encore à l'essayer, ce parfum.

    Si les autres heures rappellent l'habilité de Mathilde Laurent à faire donner leur clarté au note espéridé, alors la 13 heure me rappelle "attrape-coeur" dans son style presque surchargé, et opalescent opaque, et pourtant il n'est que fumé et transparence.

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  14. Julien, pour ma part c'est dans L'Heure Mystérieuse que je retrouve la densité d'Attrape-coeur, encore accentuée. Pour moi, en tous cas, ces Heures de Parfum auraient pu avoir eu lieu chez Guerlain, tant pis pour eux!

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  15. Je ne connais pas le fin mot de l'histoire entre Guerlain et Mathilde Laurent. Je pense que la politique guerlain actuelle n'aurait pas fait de place à une Mathilde Laurent de toute façon. Donc oui, c'est tant pis pour eux.

    Mais sur le rapport qualité artistique/prix, on peut s'amuser à tirer des comparaisons.
    Les heures sont très bonnes, mais (et c'est le seule hic)
    240€ c'est un nouveau seuil psychologique, après les 16O€ des "art et la matière".
    Quand j'admire un parfum, je ne suis pas prêt à mettre autant dans un seul parfum.
    Quand je suis amoureux, je n'aime pas craindre d'avoir à appuyer sur le spray. Un parfum, j'aime en avoir pour plusieurs années, je vide rarement un flacon, mais j'observe : ma mère utilise 50ml de l'heure bleue EDP en moins d'une année, une amie a déjà utilisé 40ml d'après l'ondée en 3 mois.
    Oui, quand on aime, on ne compte pas ! à l'achat comme à l'utilisation.

    Ou, période de crise oblige, on ne se parfume plus que pour les grandes occasions, comme les dames du temps jadis : on ne va jamais réussir à se sevrer :D

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  16. Julien, les prix ne sont hélas pas la responsabilité du parfumeur: ils aiment avoir des budgets leur permettant de belles matières, mais ils aiment aussi voir leurs parfums portés!
    Cela étant, alors que j'achèterais quatre des Heures (deux de cette série, deux de celles qui sortiront en automne), je n'ai jamais craqué pour aucun L'Art et la Matière. Je les trouve bien, mais il y a toujours eu un petit quelque chose qui m'a retenue avant de passer à l'acte, et je crois que c'est parce que ces parfums ne vont pas au bout de leur propos...

    Mais bon, pour tout ça, décants, en attendant que peut-être Cartier se décide à sortir un jeu des Heures en mignonnettes, comme Hermès pour les Hermessence.

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  17. Je n'ai pas non plus encore acheté de "art et la matière", c'est seulement que je commençais à m'habituer à l'idée de payer 160€ pour un parfum.
    J'aime bois d'arménie. Je reste partagé pour les autres, j'aime agiter les éventails, et cette façon de présenter de nouveau parfum, bien qu'ils soient assez inabordable.
    Il y avait aussi "oriental brulant" qui m'intéressait (quoique que je le trouve changeant), mais maintenant que j'ai ambre sultan et attrape-coeur à mes côté je n'ai plus à courir après cet ambre.

    Le soucis, quand le ratio prix/volume atteint ce niveau, c'est que même un décant reste cher. Un décant c'est bien pour découvrir.
    Au fond de moi, je sais bien que si Cartier fait comme Hermès, et propose un kit de 5 spray à 15ml, j'aurais beaucoup de mal à résister. Le côté mignon, le côté gadget ? Les "mignonettes" sont souvent si jolies (celle de l'artisan parfumeur par exemple), et renforcent l'aspect object de collection, et je ne résisterais pas à l'avantage d'avoir différent parfum pour le même prix.

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  18. Julien, Bois d'Arménie est le seul qui ait failli me faire craquer aussi, mais pour le même prix, je préfère encore Patchouli 24 du Labo, qui pousse le même propos jusque dans ses retranchements.

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  19. Patchouly 24 apparenté à bois d'arménie? Il va falloir que j'affronte à nouveau l'ambiance tape-système de Colette, alors :( Je me souviens bien que certains m'avaient plu dans leur ligne.

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  20. Plus qu'apparenté: même auteur, même idée, mais poussée jusqu'au bout cette fois par Annick Menardo. Je préfère.

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